Habitué des cénacles bruxellois où, dit-on, il souhaiterait retourner après sa future élection au Parlement européen, Michel Barnier avait déjà manifesté une curieuse conception de la défense des intérêts français : lorsqu’il était Commissaire européen au début des années 2000, il avait, tout comme son collègue socialiste Pascal Lamy, approuvé sans réserve aucune le projet de directive Bolkestein, prévoyant la mise en concurrence sauvage des services au sein de l’UE.
Ministre de l’Agriculture aujourd’hui, il vient d’approuver (avant de changer son fusil d’épaule, donc) le principe du rosé coupé, pratique qui selon l’aveu même d’un autre membre du gouvernement, Hubert Falco, menacerait l’avenir des producteurs français, qui ont fait le pari de la qualité.
Vin rosé : comment la France a changé d’avis
Libération, vendredi 13 mars 2009
Philippe Brochen
Lors d’un vote indicatif à Bruxelles, le ministre de l’Agriculture Michel Barnier a donné son accord au mélange de vin rouge et de blanc. Avant de retourner sa veste...
Peut-on mélanger du vin rouge et du vin blanc pour faire du rosé ? A cette question, la Commission de Bruxelles répond oui. Et la France ? Eh bien, la France, heu… On ne sait pas trop.
Résumé de l’affaire. Fin janvier, à Bruxelles, la France a approuvé avec ses homologues des Vingt-sept, un projet de réglementation européen autorisant le mélange de vin blanc et de vin rouge pour faire du rosé. Pratique actuellement interdite dans l’UE, à de rares exceptions près, comme pour le champagne.
Mais voilà, sans doute sous la pression des producteurs français de rosé, dont ceux de Provence, Michel Barnier et ses troupes semblent avoir changé d’avis sur cette question dite du coupage. Charge à eux, maintenant, de parvenir à infléchir leur position sans que cela se voie trop, avant le vote définitif sur la question, le 27 avril à Bruxelles.
Au cabinet de Michel Barnier, on a le sens de la précision. « Le 27 janvier, ce n’était pas un vote indicatif, c’était un recueil d’avis informel », dit le ministère de l’Agriculture. Le porte-parole du commissaire européen à l’Agriculture, lui, dit : « Vote indicatif ou informel, c’est un peu la même chose. Nous, à la Commission européenne, on dit indicatif. Après s’ils veulent dire informel… »
« C’est vrai que ce point précis pose problème »
Au ministère de l’Agriculture, on avance que « cette question du rosé a été traitée dans le cadre d’un règlement global sur les pratiques œnologiques dans l’UE. C’est une question parmi vingt ou trente autres : copeaux, alcoolisation, adjuvants… On a donc voté pour l’ensemble du texte, qui comporte tout un tas de dispositions ».
Dont la technique du coupage pour le rosé. « C’est vrai que ce point précis pose problème », avoue l’entourage de Barnier. Pourquoi alors avoir voté favorablement. « Nous avions le souci de ne pas bloquer le processus, qui doit entrer en vigueur le 1er août. »
La Commission européenne connaît l’embarras du camp français concernant ce projet de réglementation sur le vin. « Paris a voté pour ce paquet de mesures sur les pratiques œnologiques que nous voulons changer. Il semble qu’ils aient conscience que cela leur pose maintenant un problème », réagit Michael Mann, porte-parole du commissaire à l’Agriculture.
Qui résume : « Les Etats membres peuvent toujours changer d’avis entre le vote consultatif et le vote définitif. » Et le fonctionnaire européen d’avouer : « Nous sommes en train de réfléchir à la conduite à tenir si certains Etats membres votent contre ce changement de réglementation. »
Comme dans l’affaire sur la baisse de la TVA dans certains secteurs, comme la restauration, dont l’accord a pu être arraché par la France grâce au vote allemand, il semble que Berlin puisse venir une nouvelle fois au secours de Paris sur la question du coupage. L’Allemagne, qui a voté défavorablement lors du vote indicatif, pourrait permettre à Barnier de se sentir moins isolé le 27 avril et lui permettrait de ne pas se prendre la porte de sortie en pleine figure.